Patel brown | The Belgo Building - 372 rue Ste-Catherine O, #412
….Muriel Ahmarani Jaouich | Living Lineages.. Muriel Ahmarani Jaouich | Lignées vivantes….
…. 25 may - 1 july, 2023..25 mai - 1 juillet 2023….
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When you descend from people who were not supposed to survive, what do you make of/from/with your inheritance of their wounds? Muriel Ahmarani Jaouich is the descendant of an Armenian man whose parents and thirteen siblings, save for one brother, were murdered, and on the other side, from an Armenian woman whose sister and parents were murdered. Photographs of beheaded men were among evidence of Turks massacring one and a half million Armenians between 1914 and 1923, from which the Turkish state still absolves itself, still systematically denies as genocide.
Muriel had been piecing together fragments of her lineage—from oral histories, a constructed genealogy, and surviving personal materials shared with her by kin during her search for connecting threads—when she discovered that both her great grandfathers were among those decapitated.
She collapsed in the middle of a six-week silent meditation retreat, feeling petrified and possessed. But the fear that she felt was not her own. “That’s your ancestors’ trauma. You’re healing it,” her trauma-specialist meditation teacher told her. Given the impossibility of verbal communication, how do you speak with those who are no longer here? How do you listen to them? (And what about those who are still here but who can no longer speak?) Her intention to commune with her ancestors through—not despite—silence guided her work when she returned from the retreat.
In moments, Muriel’s body completes the sentences her words cannot; when she shares with me that she approaches her paintings from a felt and embodied sense, that she’s disinterested in circumscribing with words and theory and rationality, her hands’ gesture begins from her stomach then they rise up, mirroring a gushing current seeking a calming channel. “How do I transmute these things and let them work through me?” became a guiding question in her practice.
Ancient Egyptian iconography entered her pictorial lexicon when her father began to lose his capacity to speak. His voice’s disappearance urged her to understand where he came from, where her grandparents sought exile, in Alexandria. When she tells me about the violent uprooting of her family’s migration, her hands vibrate with vigour, suggesting the rupture’s still-living imprint. We both cry.
Her paintings are a vehicle for the unspoken, a vessel for connection and reclamation. To articulate what can’t be articulated, to imagine what was lost and looted, to become a receptacle, she paints in the presence of photographs of her family before and after the genocide; they are picnicking, or posing in a studio group portrait in their indigenous Armenian dress. A photograph of her grandmother Rose as an orphaned teenager watches over her. When she shows me her predecessors’ traces surrounding her in her studio, both her hands circle and swirl around her shoulders and her collar bones; she feels entourée. And when she props up her paintings to show me on Zoom, she stands next to figures representing the women in her family, at the scale of her own body; she appears to stand, on the same plane, alongside her predecessors. In the presence of Goddess Nut, the protector in the afterlife, they are emancipated, bathing in light, despite grief’s presence in these edenic, harmonious, sometimes flamboyant images. The recurring motif of the fez-wearing male figure represents the Ottoman oppressor; by congregating, despite the rupture of forced separation, despite the severance of their lineage, the women reclaim their power from patriarchal colonial violence. They gossip in a lost language only few can decode. In this way, Muriel’s picture plane is a portal, inviting us to an in-between place, to feel the co-existence of connection and severance, of dark and light.
Merray Gerges
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En tant que descendante d’une famille qui n’était pas censée survivre, que faire de ces blessures laissées en héritage? Muriel Ahmarani Jaouich fait partie de la lignée d’un Arménien dont les parents et les treize frères et sœurs ont été assassinés, à l’exception d’un frère, ainsi que d’une Arménienne dont les parents et la sœur ont, eux aussi, été exécutés. Des photographies d’hommes décapités figurent parmi les preuves du massacre d’un million et demi d’Arméniens commis par les Turcs entre 1914 et 1923. À ce jour, l’État turc continue de s’absoudre de ce génocide, voire d’en nier systématiquement l’existence.
Muriel rassemblait des fragments de sa lignée – à partir d’histoires orales, d’une généalogie reconstruite et de vestiges personnels, partagés par des proches dans sa quête de fils conducteurs – lorsqu’elle a découvert que ses deux arrière-grands-pères faisaient partie des personnes ayant été décapitées.
Elle s’est effondrée au beau milieu d’une retraite de méditation silencieuse de six semaines, se sentant pétrifiée et possédée. Mais la peur qu’elle éprouvait n’était pas la sienne. « Il s’agit du traumatisme de tes ancêtres. Tu es en train de le guérir », lui a dit sa professeure de méditation, spécialisée en trauma. Vu l’impossibilité d’entrer en communication verbale avec ceux qui nous ont quittés, comment, alors, est-il envisageable de leur parler et de les écouter? (Et qu’en est-il de ceux qui sont toujours parmi nous, mais qui ont perdu l’usage de la parole?) À la suite de cette retraite, le travail de Muriel a été guidé par son intention de communier avec ses ancêtres à travers – et non malgré – le silence.
Par moment, le corps de Muriel complète les phrases que ses mots ne peuvent exprimer. Tandis qu’elle me dit aborder ses toiles à partir d’un sentiment ressenti et incarné, et qu’elle ne souhaite pas se restreindre aux mots, à la théorie et à la rationalité, ses mains s’élèvent, dans un geste semblant émerger de son ventre, reflétant un courant jaillissant qui cherche un moyen de s’apaiser. Sa pratique est désormais dirigée par cette question : « Comment puis-je transmuter ces phénomènes et les laisser agir à travers moi? »
Lorsque son père a commencé à perdre la capacité de parler, Muriel a intégré l’iconographie égyptienne antique à son lexique pictural. Alors que sa voix disparaissait, elle a rapidement voulu comprendre d’où il venait, soit la terre d’exil de ses grands-parents, Alexandrie. Quand elle me raconte le déracinement violent de la migration de sa famille, ses mains vibrent de vigueur, suggérant l’empreinte encore vivante de la rupture. Nous pleurons toutes les deux.
Ses œuvres se veulent un véhicule pour le non-dit, un vecteur de connexion et de réclamation. Pour articuler ce qui ne peut l’être, pour imaginer ce qui a été perdu et pillé, pour devenir un réceptacle, elle peint en présence de photographies des membres de sa famille avant et après le génocide. On les voit pique-niquer ou poser dans un portrait de groupe en studio, vêtus de leur robe arménienne autochtone. Une photographie de sa grand-mère Rose, adolescente et orpheline, veille sur elle. Lorsqu’elle me montre les traces de ses ancêtres qui l’accompagnent dans son atelier, ses deux mains tournent et tourbillonnent autour de ses épaules et de ses clavicules; elle se sent entourée. Et quand elle place ses toiles de manière à me les montrer sur Zoom, elle se tient aux côtés de figures représentant les femmes de sa famille, à l’échelle de son propre corps. Ainsi, elle semble poser sur le même plan avec ses prédécesseures. En présence de la déesse Nut, protectrice de l’au-delà, elles s’émancipent, baignés de lumière, malgré le deuil inévitable émergeant de ces images édéniques, harmonieuses, et parfois flamboyantes. Le motif récurrent de la figure masculine portant le fez représente l’oppresseur ottoman. En se rassemblant, malgré la rupture causée par la séparation forcée, malgré la rupture de leur lignage, les femmes reprennent leur pouvoir face à la violence coloniale patriarcale. Elles bavardent dans une langue perdue que peu de gens peuvent décoder. De cette façon, le plan pictural de Muriel est un portail, nous invitant à un lieu intermédiaire, pour ressentir la coexistence de la connexion et de la séparation, de l’obscurité et de la lumière.
Merray Gerges (traduction par Marie-France Thibault)
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Muriel Ahmarani Jaouich is a Canadian artist of Armenian, Egyptian, and Lebanese descent, whose paintings focus on genealogy, intergenerational trauma and historical violence. Ahmarani Jaouich creates a narrative based on the history of her family; one of diaspora, immigration, and genocide. Her research is based on oral histories, photographic archives and objects bequeathed to her. Ahmarani Jaouich transforms this knowledge and creates narratives using memory and imagination. The work speaks of ancestral grief. Such grief work invites an ongoing practice of deepening, caring, and listening. Ahmarani Jaouich believes that dealing with undigested anguish of our ancestors frees us to live our present lives. In turn, it can also relieve ancestral suffering in the other world.
Muriel Ahmarani Jaouich is currently living on the unceded indigenous lands of Tiohtià:ke / Montreal, QC, Canada, of the Kanien'kehà:ka Peoples. She is the recipient of the Lilian Vineberg scholarship, the Merit scholarship as well as the Tom Hopkins Memorial award. In recent years, her work has been presented in exhibitions, including the Museum of Fine Arts in Montreal, Patel Brown in Montreal, Centre CLARK, articule, Printemps du Musée d’art contemporain de Montréal, as well as AucArt in the UK. Ahmarani Jaouich’s works are present in corporate and private collections in New York, Los Angeles, Prague, Barcelona, Milan, Toronto and Montreal.
Merray Gerges is an Egyptian essayist and editor based in New York. She recently completed her MFA in narrative nonfiction at New York University, and she is a visiting editor at Momus. When her path crossed Muriel’s, she had also been preoccupied with how to attune herself to nonverbal ways of knowing her Coptic predecessors—to whom her connection was severed by forced migration to escape persecution in Egypt. She is beginning to embrace that the body registers, recognizes, and remembers what the mind cannot.
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Muriel Ahmarani Jaouich est une artiste canadienne d’origine arménienne, égyptienne et libanaise dont les peintures portent sur la généalogie, les traumatismes intergénérationnels et la violence historique. Elle crée un récit basé sur l’histoire de sa famille, relatant ainsi les concepts de diaspora, d’immigration et de génocide. Ses recherches s’appuient sur la tradition orale, sur des archives photographiques et sur des objets qui lui ont été légués. En transmutant les connaissances dépeintes par ces paroles et artéfacts, Muriel invente des récits qui reposent sur la mémoire et l’imagination. Son œuvre évoque le deuil ancestral, et un tel sujet invite à une constante pratique de réflexion profonde, de bienveillance et d’écoute. Selon elle, il est essentiel de faire face au tourment duquel nos ancêtres n’ont pu se libérer afin de vivre dans le présent. Corollairement, ce processus peut également alléger les souffrances ancestrales dans l’autre monde.
Muriel Ahmarani Jaouich vit actuellement sur les terres autochtones non cédées des peuples Kanien’kehà:ka, soit à Tiohtià:ke/Montréal, au Québec, Canada. Elle est lauréate de la bourse Lilian Vineberg, de la bourse Merit ainsi que du prix Tom Hopkins Memorial. Au cours des dernières années, son travail a été présenté dans le cadre de diverses expositions, notamment au Musée des beaux-arts de Montréal, à la galerie Patel Brown de Montréal, au Centre CLARK, à la galerie Articule, aux Printemps du Musée d’art contemporain de Montréal, ainsi qu’à la galerie AucArt, au Royaume-Uni. On retrouve ses œuvres dans des collections commerciales et privées à New York, Los Angeles, Prague, Barcelone, Milan, Toronto et Montréal.
Merray Gerges est une essayiste et éditrice égyptienne qui vit à New York. Elle a récemment complété une maîtrise en narrative nonfiction à l’Université de New York et elle est rédactrice invitée chez Momus. Lorsque son chemin a croisé celui de Muriel, elle était également en processus de questionnement à savoir comment s’adapter aux manières non verbales de connaître ses prédécesseurs coptes, avec lesquels son lien a été rompu par la migration forcée pour échapper à la persécution en Égypte. Elle commence à réaliser que le corps enregistre, reconnaît et se souvient de ce qui est impossible pour l’esprit.
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